Eh bien ! la guerre
Bonjour à toutes, bonjour à tous,
J’espère que vous allez bien.
La philosophie ne parle pas que de choses légères…
Il serait d’ailleurs un peu facile d’éviter les sujets préoccupants, pour se cantonner à des choses consensuelles.
Le sujet que je vais aborder fait justement partie des sujets préoccupants.
Aussi, pour ne pas l’interrompre par des choses plus anecdotiques, je le fais précéder d’une annonce et d’un rappel.
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Et maintenant :
le billet philo !
On peut admirer la morale de Figaro dans la pièce de Beaumarchais :
«Je m’empresse de rire de tout, de peur d’être obligé d’en pleurer»
Toutefois, cette morale est difficile à appliquer...
La situation que nous vivons sur le continent européen est ambiguë : d'un côté, un plan de paix a été proposé par les Etats-Unis pour la guerre en Ukraine ; de l'autre, de vives protestations apparaissent pour ne pas l'accepter en l'état.
On peut même dire qu'une rumeur monte sourdement, depuis un certain temps.
Elle fut ponctuée, la semaine dernière, d’une sortie du chef d’état-major des armées, le général Fabien MANDON. En effet, pour lui, la France devrait « accepter de perdre ses enfants » dans une éventuelle guerre contre l’Ukraine(1).
Dans les jours suivants de cette déclaration, face aux protestations d'une grande partie de l'opinion, la porte-parole du gouvernement, Madame Maud BREGEON, a dû se fendre d’une explication de texte(2).
Nous étions déjà « en guerre », pendant la Covid.
En tout cas, c’est ce qu’on disait en milieu politique. Désormais, les esprits sont préparés à une « vraie » guerre à la fois par certains généraux et par des personnes politiques.
Or, les guerres sont de tous ordres.
Elles sont bien sûr militaires, mais aussi économiques (sanctions, blocus, gel des avoirs, prédation des parts de marché), commerciales (taxes, suppression des moyens de transaction, espionnage économique), monétaires (suprématie d’une devise, attaque sur les marchés), numériques (maîtrise des logiciels, des technologies clés) …
C’était donc une naïveté des penseurs des Lumières, comme Montesquieu, de penser que le « doux commerce » résoudrait, à terme, les problèmes d’hostilité entre les nations.
En effet, les guerres militaires ou coloniales se sont faites ou se font, en partie, pour des raisons économiques. Le commerce n’est donc pas synonyme de « paix ».
Ainsi, la guerre est polymorphe et sourdement présente, même si nous essayons de ne pas y penser.
Certains auteurs ont même soutenu que la guerre est l’état naturel de l’être humain et qu’au sein des États, tout désordre menace toujours de finir en guerre civile.
Autrement dit, la guerre « naturelle » entre les hommes pourrait toujours ressurgir, si les institutions se désagrègent(3)…
Il ne sert à rien, bien sûr, de faire de l’angélisme. La guerre existe comme possibilité.
Les nations qui veulent rester en paix doivent donc se faire respecter. « Si tu veux la paix, prépare la guerre » (si vis pacem, para bellum), disait l’adage Romain.
La force est, en effet, une puissance de dissuasion.
Même le philosophe Alain, pacifiste chevronné de l’entre-deux guerres (mondiales), considérait que la guerre est un rituel propre à l’homme(4).
Cette idée est généralement partagée par les éthologues… car les animaux ne font pas la guerre. Quoique ! Les animaux n’usent certes pas, en général, de violence inutile ; ils ont des rituels réglementés et des signaux d’apaisement. Toutefois, une « guerre » entre deux groupes de chimpanzés fut observée par Jane Goodall dans le parc de Gombe en Tanzanie en 1974 et 1978 (5).
Mais revenons à Alain et à son idée de la guerre comme rituel humain.
Alain notait, toutefois, que ceux qui entraînent vers la guerre la font faire par les autres…
Il est vrai que les généraux modernes franchissent rarement le pont d’Arcole, comme Bonaparte à la tête de ses troupes. Un témoin de la campagne d’Italie de Bonaparte racontait l'attitude de celui-ci :
« Nous le voyons tout à coup paraître sur la digue, entouré de son état-major et suivi de ses guides, il descend de cheval, tire son sabre, prend un drapeau et s'élance sur le pont au milieu d’une pluie de feu. » (6)
Les généraux d’aujourd’hui mettent rarement leur propre vie en danger.
C’est pourquoi Alain déclare la chose suivante :
« si le tribunal d’honneur (…) réservait la louange à ceux qui payent directement de leur personne »…
Tout serait très différent.
D’ailleurs, irait-on à la guerre dans ce cas ?
Toutefois, la guerre peut être un état d’esprit, une revanche d’une nation sur une autre, d’une personne sur une autre, voire d’un sexe sur l’autre, quand deux amours-propres s’affrontent.
Dans le roman Les liaisons dangereuses, la marquise de Merteuil, qui s’estime née « pour venger son sexe et maîtriser » (7) celui des hommes, affronte l’orgueilleux vicomte de Valmont.
Quand celui-ci lui envoie un ultimatum, lui proposant : soit d’être son amant, soit d’être son ennemi, elle lui répond par ces simples mots :
« Eh bien ! la guerre » (8)
Le problème des guerres est qu’on sait où elles commencent, mais pas où elles se terminent, ni quand elles se terminent.
Alors, comment conclure ce billet ?
En forme d’espérance…
c’est-à-dire avec l’espoir qu’on ne prononce pas, un jour, avec légèreté : « Eh bien ! la guerre »
En vous remerciant de votre attention
Cordialement
Philippe BOULIER
Notes :
3. Thomas Hobbes, Léviathan.
4. Alain, « Qu’est-ce que la guerre », Propos du 2 Avril 1921.
https://philosophe-alain.fr/propos/quest-ce-que-la-guerre/
5. Norin CHAI, Sagesse animale. Comment les animaux peuvent nous rendre plus humains, Paris, Stock, 2018, chap. 3.
6. Marcel Reinhard, Avec Bonaparte en Italie, d'après les lettres inédites de son aide de camp Joseph Sulkowski, Hachette, 1946, Paris.
7. Choderlos de Laclos, Les liaisons dangereuses, lettre LXXXI.
8. Choderlos de Laclos, Les liaisons dangereuses, lettre CLIII.
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