“La vérité : une erreur comme les autres ?”

deux hommes autour du chiffre 6 ou 9

Qui a raison ?

« La vérité est ce type d'erreur sans laquelle une certaine espèce d’êtres vivants ne saurait vivre. » 

        Nietzsche, Fragments posthumes, in OPC, XI, 34 (253).

 

 

Mon dernier billet portait sur une citation célèbre de Nietzsche : « Il n’y a pas de fait, seulement des interprétations ».

 

Je récidive…

 

En effet, j’ai eu plusieurs retours de la part de lectrices/lecteurs, qui m’ont incité à creuser ce sillon de la pensée de Nietzsche.

 

Non que je me réclame de cette pensée, mais elle éveille visiblement l’intérêt et elle a le mérite de poser des questions radicales.

 

Y a-t-il, chez nous, un « besoin » de vérité ? Et d’où vient la « valeur » de la vérité pour nous ?

 

Nietzsche ne croit pas qu’il existe « la » vérité, c’est-à-dire une connaissance objective et absolue, accessible aux humains que nous sommes.

 

La première raison pour cela, c’est que Dieu n’est plus une garantie de la vérité, selon lui.

 

En effet, la pensée traditionnelle a longtemps considéré que la vérité reposait sur une garantie absolue et universelle : l’esprit de Dieu. C’est Dieu qui crée les vérités ou, du moins, qui les pense. Ces vérités existent donc bel et bien pour son esprit, indépendamment de nous. 

 

La deuxième raison, c’est que la « vérité » se pense par opposition à l’« erreur », la « tromperie », la « fausseté ». Elle constitue un couple de notions opposées, comparable à celui de la « réalité » et des « apparences ».

 

D’un côté, il y a la vérité, la réalité, le vrai ; de l’autre, l’erreur, les apparences trompeuses et l’illusion.

 

Or, ce que nous nommons la vérité n’est, aux yeux de Nietzsche, qu’une apparence de plus.

 

En effet, quand nous dépassons une apparence trompeuse ou une illusion pour saisir une « vérité », nous ne faisons que dépasser une première apparence pour une seconde apparence.

 

Il faut bien que la vérité nous « apparaisse » pour que nous la connaissions. Autrement dit, la vérité est une apparence comme les autres.

 

Elle n’existe jamais « toute nue » comme le dit Nietzsche : elle n’est jamais défaite du voile des apparences.

 

« Il n’y a pour nous point de « réalité » », affirme-il dans le Gai savoir, § 57.

 

Bien sûr, ces affirmations de Nietzsche sont sujettes à controverse et à objection.

 

L’une des objections les plus courantes consiste à dire que tout peut être remis en doute, sauf notre propre existence. C’est déjà, au moins, une première vérité.

 Pourquoi cela ?

Parce que notre existence est une vérité qui se prouve « par l’erreur ».

 

Parce que je peux me tromper sur tout, mais, pour me tromper, il faut bien que j’existe. Par conséquent, toute erreur suppose cette vérité fondamentale : « j’existe ».

 

C’est une affirmation très ancienne. On la trouve sous la plume d’Augustin d’Hippone, l’un des Pères de l’Eglise :

 

« Si je me trompe, je suis, car celui qui n’est pas ne peut être trompé, et de cela même que je suis trompé, il résulte que je suis. » 

Augustin, La Cité de Dieu, livre XI, ch. 26.

 

Ouf ! Nous voilà rassurés !

 

Il y a, au moins, une vérité à laquelle nous raccrocher de façon objective et rationnelle, sans même recourir à la religion ou à la foi.

 

Plusieurs siècles après Augustin, Descartes affirmera la même chose :

 

« (…) pendant que je voulais ainsi penser que tout était faux, il fallait nécessairement que moi, qui le pensais, fusse quelque chose »  

René Descartes (1596-1650), Discours de la Méthode (1637), quatrième partie.

 

« Je pense, donc je suis ».

 

C’est cette première vérité certaine, rencontrée sur le chemin du doute, qui sert de principe à la philosophie de Descartes.

 

Je m’exprime à la première personne (« Je »), je pense à la première personne et donc j’existe, sans aucun doute, moi qui vous écris.

 

Oui, mais voilà : Nietzsche ne dit pas son dernier mot…

 

En effet, qu’est-ce qui prouve que la pensée est « ma pensée » ?

Qu’est-ce qui prouve qu’il existe un « Je », un « Moi » véritable qui pense et qui ne soit pas seulement l’illusion du langage ?

 

Ce n’est pas parce que je m’exprime à la première personne qu’une « personne » existe véritablement au sein de mon esprit.

 

Vaste question… et vaste doute ouvert par Nietzsche.

 

En tout cas, sa réflexion montre que la « vérité » est une valeur, qui met en question notre propre existence.

 

J’aborde cette question dans la dernière vidéo de la chaîne consacrée à Nietzsche : « Nous vivons dans une bulle »

 

N’hésitez pas à vous abonner à la chaîne, si ce n’est déjà fait !... et si vous « existez » réellement.

 

En vous remerciant de votre attention

 

Cordialement

 

Philippe BOULIER

Image de couverture : 

Mohamed Hassan sur Pixabay : https://pixabay.com/fr/users/mohamed_hassan-5229782/

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