Peut-on « faire » son bonheur ? 

Bonjour à tous,

La question peut sembler étrange…

En effet, le bonheur est souvent abordé à travers la question de l’être ou de l’avoir.

Du côté de l’être, on « est » heureux ou on espère être heureux à l’avenir.

Du côté de l’avoir, on « obtient » quelque chose, voire on « détient » quelque chose qui fait ou devrait faire notre bonheur. On entend souvent dire : Je « suis » heureuse ou je « suis » heureux, « J’étais très heureux de te voir », « Il a tout pour être heureux », etc. 

On aborde rarement le bonheur à travers l’idée de l’action.

C’est ce que remarque le célèbre philosophe Alain (1868-1951) dans un texte célèbre : il s’agit d’un chapitre tiré de son ouvrage Propos sur le bonheur (1928) ; en l’occurrence, il s’agit du chapitre XLVII (47), intitulé « Aristote », chapitre qui avait paru initialement dans un journal, qui s’appelait les Libres Propos, le 15 septembre 1924.

Alors, que nous dit Alain ?

Il nous dit que nous avons tendance à penser le bonheur sous une forme passive. Quelque chose nous rend heureux ou produit du bonheur en nous ; par exemple, on attend un « heureux » événement ; autre exemple : on a le « bonheur » de revoir quelqu’un sans l’avoir nécessairement cherché. Ce sont des causes extérieures, qui nous rendent heureux. 

Tout se passe donc comme si le bonheur était une chance qui nous était accordée ou le résultat d’un événement, d’une situation qui nous touche de l’extérieur. 

Et pourtant…

Nous sentons bien que toutes les beautés du monde peuvent nous laisser froids, si elles ne trouvent pas un écho en nous et si nous sommes nous-mêmes éteints dans notre for intérieur. Nous sentons aussi que nous pouvons prendre une part active au bonheur. Ne dit-on pas qu’on « se » réjouit de quelque chose ? ou qu’on « se fait » une joie de venir à tel ou tel événement ? 

Ainsi, nous pouvons aller à la rencontre du bonheur.

Nous pouvons le susciter.

On peut même penser que le bonheur n’est pas un point d’arrivée, une destination qu’il faudrait atteindre, mais plutôt un chemin, une route ou une démarche. « Il n’y a pas de chemin vers le bonheur ; le bonheur, c’est le chemin » disait le sage Lao Tseu. 

Alors, comment peut-on se rendre heureux ? Comment pouvons-nous prendre une part active à notre propre bonheur ?

Il y a sans doute de nombreuses manières de le faire. On peut mentionner un ensemble d’attitudes qui aident dans la quête du bonheur :

• Premièrement, penser que les événements de notre vie ont un sens, y compris les difficultés qu’on rencontre ; peut-être que les événements supposément « négatifs » sont des occasions de mûrir, d’approfondir notre vision de la vie, de l’existence, de nous-même, y compris dans la souffrance que l’on peut ressentir. Peut-être même qu’une part de cette souffrance nous vient d’un jugement limité sur ces événements ;

• Deuxièmement, ne pas oublier d’être heureux, quand l’occasion se présente, même si la vie contemporaine nous pousse à accélérer le rythme des activités, l’enchaînement des actions ou des performances ; être capable de revenir à soi-même, au moment vécu, à ce qui nous entoure et à la beauté sous-jacente de certains moments ;

• Troisièmement, il y a un aspect émotionnel : nous pouvons nous pardonner et pardonner aux autres, diminuer notre colère, notre ressentiment, nos frustrations, en modifiant notre façon de voir les choses et en nous projetant vers des perspectives constructives, etc. 

Il y a donc tout un ensemble de démarches, qui dépendent de nous et qui peuvent nous aider dans notre quête du bonheur. 

Parmi toutes les démarches qui peuvent nous rendre heureux, Alain nous invite à considérer un certain type d’activités.

En effet, il oppose le bonheur durable aux plaisirs fugitifs, notamment les plaisirs passifs. Laisser fondre une sucrerie dans la bouche est agréable, mais cela ne peut pas suffire à nous heureux – d’autant que l’accumulation de sucreries nous conduit à l’écoeurement. C’est la même chose pour le fait de regarder passivement des films les uns après les autres : cela peut nous laisser un certain sentiment de vide ou de lassitude. 

Alain remarque qu’on éprouve d’autant plus de plaisir qu’on participe à ce qui nous donne du plaisir :

• Ecouter une chanson est agréable, mais savoir la fredonner quand on l’écoute et en maîtriser les paroles, qu’on fait résonner en soi, nous donne plus de joie.

• Regarder de beaux tableaux ou de beaux dessins est plaisant, mais savoir dessiner soi-même ou collectionner les dessins rend notre œil plus actif, plus sagace devant les dessins des autres ; cela permet d’y voir plus de détails et d’en tirer plus de plaisir. 

• Assister à une pièce de théâtre est intéressant, mais retrouver dans les paroles des comédiens un texte qu’on connaît et qu’on attend renforce le plaisir. Même critiquer un spectacle qui nous a déplu fournit un certain plaisir, parce qu’on participe un peu au spectacle qu’on a observé d’une façon non passive.

Alain nous fait nous souvenir de notre enfance.

Pourquoi prenions-nous tant de plaisir à jouer, quand nous étions enfants ? C’est parce qu’on était acteur de l’événement ; on inventait, on créait des situations, parfois on modifiait les règles du jeu. On trichait aussi, peut-être.

De même, une fois adulte, on aime d’autant mieux certaines activités qu’on les comprend. Alain prend l’exemple de la politique ou des échecs : on les apprécie d’autant plus qu’on sait le jeu, qu’on connaît les règles du jeu, les astuces et qu’on peut suivre le fil de la partie. 

Quelle conclusion Alain tire-t-il de ces remarques ?

On peut prendre part au bonheur et pas seulement en jouir passivement. On peut s’approprier certaines sources de joie, être partie prenante des choses qui nous rendent heureux. Bref, on peut sentir qu’on est soi-même en jeu dans une activité. 

Selon lui, le bonheur durable est un plaisir renouvelé, qui vient de notre participation à quelque chose, de notre activité. Et, parmi les choses qui garantissent le plus notre bonheur, il y a toutes celles qui nous permettent de nous réaliser, de nous accomplir. Ce sont toutes les choses qui permettent à notre potentiel d’être humain de devenir concret.

Alain nous incite à regarder du côté des activités ou des choses qu’on peut apprendre toute sa vie et dans lesquelles on peut progresser indéfiniment : 

• Cela peut être des choses concrètes : par exemple, la couture, le jardinage, le bricolage, la mécanique. 

• Cela peut être des activités relationnelles : les danses de salon, les langues étrangères, un métier relationnel. 

• Cela peut être des choses artistiques : la lecture ou l’écriture de romans, de poésies, le dessin, la peinture, la musique, le chant, la poterie, la sculpture, la fabrication de bijoux, etc. 

• Cela peut être aussi des choses spirituelles : par exemple, la méditation, la prière, l’exercice du moment présent, la connaissance de la religion. 

• Cela peut être aussi de l’érudition ou des connaissances intellectuelles : la connaissance de l’histoire, la cinéphilie, l’économie, etc. 

En résumé, le conseil d’Alain est simple. On peut se rendre heureux en apprenant toujours davantage à faire ou à exercer des activités qui réalisent une part de nous-mêmes, de notre potentiel humain, et qui nous ouvrent une perspective indéfinie de découvertes, de leçons et de nouveautés.

Merci de votre attention 

Y a plus qu’à… comme on dit

Cordialement

Philippe BOULIER

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